Les systèmes de prévision numérique du temps (communément appelés ’modèles’) servent à produire, de manière automatique, une représentation la plus exacte possible de l’état présent et futur de l’atmosphère. Leur principale utilisation est la prévision météorologique pour les prochains jours, mais ils servent aussi à étudier les mécanismes d’évolution de l’atmosphère. Ce sont donc aussi des outils d’investigation scientifique. Leur amélioration est, en elle-même, un important thème de recherche.
Les ingrédients d’un système de prévision
Un système de prévision numérique comprend typiquement les sous-ensembles suivants :
- un logiciel de traitement des données d’observation météorologiques, qui permet d’estimer l’état de l’atmosphère à un instant donné : c’est le module d’assimilation de données.
- un logiciel qui simule l’évolution de l’atmosphère sur une période de quelques heures à quelques jours : c’est le modèle numérique de prévision proprement dit. Il utilise le module d’assimilation de données pour définir son état initial, appelé analyse. Ce dernier est extrapolé dans le temps par la résolution numérique d’équations physiques auxquelles obéit l’atmosphère.
- un calculateur permettant d’exécuter ces deux logiciels très coûteux, soit en temps réel pour les besoins de la prévision météorologique, soit sur des périodes passées pour reconstituer le comportement de l’atmosphère à partir d’archives d’observations.
- pour certaines applications, on effectue non pas une, mais plusieurs exécutions parallèles de chaque prévision, légèrement perturbées les unes par rapport aux autres, ce qui permet d’estimer les probabilités de différents scénarios possibles de prévision : c’est la prévision d’ensemble.
Comment la recherche améliore les prévisions
La justesse des analyses et des prévisions numériques dépend à la fois de la richesse des observations utilisées, des techniques mathématiques utilisées dans l’assimilation et dans le modèle numérique, et de la puissance de calcul utilisée (un calculateur plus puissant permet, dans un délai imparti, de traiter plus d’observations, et de décrire plus finement les mécanismes importants de l’assimilation et de la prévision). La recherche en modélisation se répartit donc entre ces axes de progrès :
- l’optimisation de l’utilisation des observations existantes, et la préparation à l’utilisation de futurs instruments (radars observant vents et précipitations, mesures satellitaires par technique GPS, lidar doppler, radiances mesurées par sondeurs satellitaires à haute résolution, stations sol automatiques, etc…) ;
- les techniques numériques d’assimilation de données et de modélisation, grâce à des approches mathématiques modernes, et à l’effort sur des phénomènes météorologiques spécifiques (représentation numérique des nuages, des précipitations, des effets du relief en particulier)
- la modélisation de phénomènes physiques de plus en plus complexes : échanges d’énergie et d’eau avec les surfaces et la végétation, effet de la chimie atmosphérique et des aérosols, comportement fin des nuages et des tourbillons turbulents, brouillard…
- l’adaptation des logiciels d’assimilation et de modélisation (plusieurs millions de lignes de code) aux évolutions de l’architecture des supercalculateurs ; ce travail interagit avec le choix des techniques numériques utilisées, plus ou moins efficaces selon le type de calculateur.
Ces dernières années, environ la moitié des progrès des prévisions météorologiques est venue des améliorations des analyses (grâce à l’apport d’observations nouvelles et de nouvelles techniques d’assimilation), l’autre moitié des améliorations des modèles (grâce à une meilleure finesse géographiques des grilles de calcul utilisées, qui est la principale retombée des progrès technologiques des supercalculateurs, mais aussi avec une meilleure représentation du rayonnement, des nuages, et des mélanges turbulents). Il faut aussi noter l’apparition de nouveaux types de produits de prévision numériques (quasiment impossibles il y a 10 ans), comme la simulation des orages, des précipitations méditerranéennes intenses, des transitions pluie/neige, ou des influences météorologiques très locales (reliefs, villes, côtes…). Des améliorations spectaculaires ont aussi été obtenues dans la prévision numérique des tempêtes, même s’il reste encore des progrès à faire dans la prévision de nombreux phénomènes.
Ces progrès proviennent rarement de développement particuliers, mais plutôt de la combinaison optimale de l’ensemble des thèmes décrits ci-dessus (observations, assimilation, méthodes numériques, représentations physiques, et adaptation aux évolutions de calculateurs). Les recherches en modélisation sont réparties de manière à produire la meilleure synergie possible entre ces différents thèmes.
Les différents modèles de prévision utilisés
Pour des raisons techniques, on ne sait pas représenter de manière optimale l’ensemble des échelles spatio-temporelles de l’atmosphère avec un seul modèle numérique. Les modèles de prévision numérique utilisés sont donc configurés (à partir d’un logiciel unique) en différentes versions ayant chacune des grilles de calcul et des équations de modèle adaptées :
- ARPEGE est un système de prévision numérique couvrant le globe, particulièrement destiné à la représentation des phénomènes météorologiques de grande échelle. Sa résolution spatiale (horizontale) atteint environ 10km sur la France métropolitaine.
- ALADIN est un système couvrant des régions de quelques milliers de km de taille, à une résolution de l’ordre de 7 à 10km. Numériquement moins coûteux qu’ARPEGE, il peut être déployé sur diverses régions à travers le monde.
- AROME est un système dont la résolution très élevée (de l’ordre de 2km) lui confère des capacités uniques, notamment en prévision des nuages convectifs et des effets locaux. Il est surtout utilisé opérationnellement sur la France métropolitaine, et comme outil d’étude scientifique, par exemple sur des campagnes de mesures météorologiques.
L’utilisation de ces acronymes ne doit pas faire oublier que la plupart des travaux de R&D bénéficient simultanément à ces 3 modèles, dont le socle logiciel est en grande partie identique. De même, de nombreux laboratoires de recherche et instituts météorologiques étrangers effectuent des recherches bénéfiques pour ces modèles, au travers de réseaux de coopération (réseaux scientifiques, coopérations CEPMMT, ALADIN, HIRLAM et EUMETNET).
Des retombées au-delà de la prévision
Les applications des systèmes de prévision numérique ne se limitent pas à la prévision météorologique opérationnelle, même si cette dernière en est la retombée la plus tangible. On citera par exemple :
- L’utilisation d’ARPEGE et d’AROME pour l’étude de la météorologie en Antarctique et l’étude des données du sondeur satellitaire IASI à l’aide de mesures par ballons (campagne Concordiasi),
- Les progrès dans l’interprétation des données des sondeurs microondes grâce aux développements dans ARPEGE de modèles d’émissivité adaptés aux surface continentales,
- Les études réalisées sur les dépressions et tempêtes hivernales en Atlantique Nord à l’aide d’expériences ARPEGE,
- Le développement de techniques numériques innovantes pour la modélisation des phénomènes non-hydrostatiques à partir du modèle ALADIN,
- Les études de prévisibilité des épisodes d’inondations cévenols avec AROME, avec l’objectif d’améliorer nos futures capacités à lancer les alertes météorologiques,
- La modélisation régionale en temps réel par AROME en soutien de la campagne de mesure Hymex,
- L’étude de nouvelles techniques d’assistance à l’aéronautique (turbulence, convection…) à partir du système AROME configuré à très haute résolution au voisinage d’aéroports.
Références :
Bénard P., J. Vivoda, J. Masek, P. Smolikova, K. Yessad, Ch. Smith, R. Brozkova and J.-F. Geleyn, 2010 : « Dynamical kernel of the Aladin-NH spectral limited-area model : formulation and sensitivity experiments. » Quart. Jour. Roy. Meteor. Soc., 136, 155-169.
Karbou, F., F. Rabier, J-P. Lafore, J-L. Redelsperger, O. Bock, 2009 : Global 4D-Var assimilation and forecast experiments using AMSU observations over land. Part II : Impact of assimilating surface sensitive channels on the African Monsoon during AMMA. Weather and Forecasting, 25, 20-36.
Y. Seity, P. Brousseau, S. Malardel, G. Hello, P. Bénard, F. Bouttier, C. Lac, V. Masson, 2010 : The AROME-France convective scale operational model. Accepté pour publication dans Mon.Wea.Rev.